pourquoi la vérification d’âge est-elle si complexe ?
La question de la protection des mineurs sur les réseaux sociaux revient régulièrement au cœur du débat public. Face à une multiplication des contenus inadaptés, sensibles, et des pratiques de cyberharcèlement, plusieurs pays, dont la France, souhaitent renforcer les dispositifs de vérification de l’âge des jeunes utilisateurs et utilisatrices. Mais derrière cette volonté se cachent de nombreux défis techniques, éthiques et juridiques.
La France veut imposer la vérification d’âge au niveau européen
« Les réseaux sociaux avant 15 ans, c’est non. » Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’IA et du numérique, a de nouveau martelé la position de la France sur la question de la présence des mineurs sur les plateformes sociales, dans un entretien à La Tribune du Dimanche. Le gouvernement français pousse aujourd’hui l’Union européenne à généraliser l’obligation de vérification d’âge sur les réseaux sociaux. La ministre déléguée explique vouloir « aller plus loin pour renforcer la portée [du Digital Services Act], afin qu’il contraigne les réseaux sociaux à ne pas accepter la création de comptes sans vérification d’âge ». L’objectif du gouvernement est clair : protéger les mineurs en rendant obligatoire une vérification fiable et robuste, sans se contenter de déclarations d’âge qui peuvent être facilement contournées.
À défaut d’accord européen, c’est en France qu’il faudra agir, avertit Clara Chappaz.
L’enjeu se veut double : réduire l’exposition des jeunes à des contenus nuisibles, mais aussi responsabiliser davantage les plateformes. « Je refuse que les algorithmes élèvent nos enfants, qu’ils leur dictent ce qu’ils doivent voir, ressentir, à qui ils doivent ressembler… », dénonce Clara Chappaz. Pour cela, la France souhaite donc « mobiliser [ses] partenaires européens autour d’une ligne simple : la vérification d’âge comme impératif », par le biais d’une « coalition, avec l’Espagne, la Grèce et maintenant l’Irlande, pour convaincre la Commission européenne ». Et la ministre de prévenir : « Si nous n’arrivons pas à aboutir d’ici à la rentrée, la France prendra ses responsabilités. À défaut d’accord européen, c’est en France qu’il faudra agir. »
Et ailleurs dans le monde ?
Si l’Europe et notamment la France envisagent une approche stricte, d’autres pays à travers le monde ont déjà adopté ou envisagent des solutions semblables, voire plus radicales. Le parlement australien a notamment voté, fin 2024, l’interdiction d’accès aux réseaux sociaux pour les moins de 16 ans. Il s’agit d’un des textes les plus restrictifs sur le sujet, qui oblige les plateformes à s’assurer de l’âge des utilisatrices et utilisateurs à la création du compte, sous peine d’amende pouvant aller jusqu’à 50 millions de dollars australiens, soit environ 30 millions d’euros. Il devrait entrer en vigueur fin 2025.
Plus proche de la France, l’Espagne a, de son côté, présenté un projet de loi qui fixe à 16 ans l’âge minimal pour accéder aux plateformes sociales, et les entreprises y seraient tenues de mettre en place des dispositifs de vérification. D’autres tentatives ont également échoué, avec l’exemple de la loi « Cendrillon » en Corée du Sud, quand certains pays se limitent au consentement parental obligatoire pour l’inscription d’un mineur, comme en Italie ou en Norvège. Enfin, l’exemple chinois, ultra restrictif, interdit avec présentation d’un document d’identité l’inscription aux mineurs de moins de 14 ans.
Droits des mineurs, contrôle des jeunes, bon vouloir des plateformes…
La question du contrôle strict de l’âge sur les plateformes numériques touche profondément aux droits fondamentaux des jeunes utilisateurs et utilisatrices. La CNIL, gardienne française de la vie privée, rappelle que la mise en place de systèmes de vérification doit respecter un équilibre délicat entre protection effective des mineurs et respect des libertés individuelles, notamment celle de naviguer librement et anonymement en ligne. Les lois passées en Corée ont d’ailleurs été abrogées ou modifiées, en raison de leur impact sur les libertés des plus jeunes.
La notion de « majorité numérique« , fixée à 15 ans en France depuis la loi de 2018 relative à la protection des données personnelles, oblige théoriquement les plateformes à obtenir le consentement des parents en dessous de cet âge. En outre, la plupart des réseaux sociaux sont interdits, dans leurs conditions d’utilisation, aux moins de 13 ans. Pourtant, cette règle peine à être pleinement effective, car la responsabilité finale repose souvent sur la bonne volonté et la capacité des plateformes à implémenter des contrôles stricts et réguliers.
Défi technique et efficacité : les différentes méthodes
La vérification effective de l’âge en ligne présente ainsi des défis techniques majeurs pour qu’elle se montre réellement efficace. La présentation d’un document d’identité, est considérée « peu fiable » et « peu respectueuse des données personnelles » par la CNIL. Elle est souvent couplée à des systèmes OCR ou biométriques pour la reconnaissance des caractères ou du visage, ainsi qu’à des acteurs tiers jugés sûrs, selon la solution dite du « double anonymat », pour une meilleure protection de la vie privée.
En France, notamment pour l’accès aux sites pornographiques, le législateur impose déjà depuis 2023 la vérification stricte de l’âge, sous peine de sanctions financières pour les plateformes. Pour s’y conformer, les sites adultes doivent souvent utiliser des prestataires tiers, capables d’opérer des vérifications d’identité robustes sans compromettre excessivement les données personnelles des utilisateurs. Parmi les solutions retenues figurent des systèmes comme FranceConnect ou des dispositifs de vérification documentaire.
Cependant, ces techniques ne sont pas exemptes de critiques : elles peuvent être contournées, soulèvent d’importantes préoccupations en matière de confidentialité et de sécurité des données, et comportent le risque d’exclure ou de discriminer certaines catégories d’utilisateurs et d’utilisatrices. La mise en place d’une stricte restriction de l’accès aux réseaux sociaux sur la base de l’âge a encore du chemin à faire.
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Abdel khalik Abdel khalik
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