La Sphère de Las Vegas, une aberrante prouesse technologique ?
Si New York est considérée comme « la ville qui ne dort jamais », Las Vegas pourrait être définie comme celle où il ne fait jamais nuit. Car quand le soleil se couche, l’étrange cité du Nevada se pare de lumières aveuglantes et d’un brouhaha constant, qui ont fait fuir les oiseaux, peut-être à tout jamais. Au milieu de ce monde parallèle, la Sphère, de son nom officiel Sphere at The Venetian Resort, fait briller son million de LEDs comme une gigantesque boule disco. Mais que se cache-t-il derrière ces panneaux lumineux ? BDM a eu l’opportunité de visiter la dernière attraction de Las Vegas, entre expérience sensorielle parfois bluffante et impact environnemental hallucinant.
Sphere, des chiffres qui donnent le tournis
Difficile de passer à côté. Depuis son inauguration, en septembre 2023, les images de la Sphère ont fait le tour du monde. Il faut dire qu’elle est démesurée : 112 mètres de haut, soit 16 mètres de plus que Big Ben, à Londres. À son point le plus large, elle fait à peu de choses près la longueur du pont Alexandre-III à Paris (157 mètres contre 160 pour l’ouvrage parisien). L’extérieur est couvert d’1,2 million de LEDs, permettant d’afficher tout et n’importe quoi, d’un smiley géant aux publicités pour les shows qui s’y déroulent. Si on mettait à plat les 56 000 m2 de sa surface extérieure, ses LEDs couvriraient plus de deux places de la Concorde. Quant à son écran intérieur, il correspond à environ deux terrains de football réunis.
Sa capacité est d’environ 18 600 places au maximum, pouvant être réduite en fonction des évènements qui s’y déroulent. Mais surtout, la Sphère a coûté la bagatelle de 2,3 milliards de dollars, dépassant largement le coût initial, estimé à 1,2 milliard de dollars, faisant d’elle le lieu de divertissement le plus cher de Las Vegas. Quant à l’énergie nécessaire pour la faire fonctionner, elle pourrait alimenter 21 000 foyers au Nevada. Mais, soyez rassurés (ou pas), 70 % de sa consommation énergétique proviendrait, à terme, de l’énergie solaire, selon un accord passé avec NV Energy pour les 25 prochaines années, et principalement via le Sierra Solar Project, un projet photovoltaïque de 400 mégawatts situé dans le comté de Churchill, au Nevada.
Une salle impressionnante, mais un complexe un peu vide
Arrivé devant la Sphère, il n’est pas inconcevable de vous munir de lunettes de soleil. À condition que vos rétines n’aient pas déjà brûlé sur le Strip, bien sûr ! L’intérieur se veut épuré, peut-être pour masquer le manque de consistance. Une expo de robots un peu cheap, des étages de déambulation pour accéder à la salle et à votre siège, et c’est à peu près tout. On pourrait se croire dans un gigantesque cinéma, avec les traditionnels stands de pop-corn.


La salle en elle-même peut impressionner : conçue façon amphithéâtre, les gradins sont raides, mais pas plus que dans certains stades de football, comme au Parc des Princes par exemple. Les strapontins vous attendent et, en prenant place, on repère déjà les innombrables haut-parleurs de toute taille, même si nombre d’entre eux se cachent derrière l’écran. Au total, on en compterait 167 000, dont 1 600 enceintes fixes et 300 modules mobiles. Le but étant de diriger le son vers des zones spécifiques de l’audience, pour une spacialisation parfaite. Face à vous, un écran… de cinéma. A priori.


Postcard from the Earth, une expérience immersive 4D à 360°
Vient alors le temps d’assister à Postcard from the Earth, un show de 50 minutes vu comme un voyage sensoriel autour du globe, à partir de 99 $. Celui-ci débute sur l’écran de cinéma mais, rapidement, l’image s’étend à presque 360°, épousant la forme de la Sphère. Et il faut bien le reconnaître, la qualité de l’image est impressionnante avec ses 16 000 pixels par 16 000 pixels, offrant une résolution jamais atteinte. Petite prouesse, on peine réellement à voir les jointures des panneaux, l’image est presque parfaite. L’expérience immersive peut alors commencer. L’effet « waouh » est présent, en témoignent les nombreuses réactions du public. On regarde en face, à droite, à gauche, en haut, pour contempler les merveilles naturelles de notre planète, avant que l’Homme ne vienne y mettre son grain de sel.
Les sièges haptiques vibrent sous les pas d’un éléphant, le vent souffle dans les cols de montagne et nos cheveux, les champs d’agrumes diffusent leurs odeurs sucrées. Et ce sont là les moments les plus intéressants de ce show, quand il devient – un peu trop rarement – réellement multisensoriel. Certains passages sont proches de l’immersion proposée par la réalité augmentée, le tout sans aucun équipement, mais cette expérience en 4D immersive rappellera peut-être des souvenirs un peu moqueurs à celles et ceux ayant déjà mis les pieds au Futuroscope. C’est beau, c’est parfois impressionnant, mais ce n’est pas non plus hallucinant.


L’écran vous montre ce qu’il contribue à détruire
On sort pourtant de Postcard from the Earth – et a fortiori de la Sphère – avec un certain sentiment de confusion. Le message de ce show peut paraître étonnant dans le contexte de Las Vegas : préservation de notre planète et de ses beautés naturelles, impact négatif de l’humain… Notre Terre est belle, mais nous la détruisons : prenez-en conscience devant cet écran 16K au carré de la taille de deux terrains de football, pop-corn à la main.
Difficile de sortir de cette « salle » sans un sentiment bizarre. On cherche, sur l’esplanade ultra bétonnée, un oiseau dans le ciel. Déjà connue pour sa pollution lumineuse difficile à concevoir sans l’avoir vue de ses yeux, Las Vegas n’arrange pas son cas avec la Sphère : les trajets migratoires des oiseaux sont perturbés, et les mots se voulant rassurants quant à l’impact environnemental d’une telle infrastructure peinent, eux aussi, à trouver leur chemin.
Était-il vraiment nécessaire de construire ce bâtiment ? Certes, la prouesse technologique est remarquable. Mais la démesure de cette attraction d’un Futuroscope 3.0 est aberrante, surtout pour y diffuser un film invitant à la préservation de notre planète ou convier U2 à s’y produire… « It was OK » (« ça allait ») m’a-t-on dit à la sortie, au milieu de nombreux regards et commentaires interloqués. Mais ce qui se passe à Vegas reste à Vegas. Les oiseaux l’ont bien compris… et n’y mettent plus les plumes.
Note : les images et vidéos ont été compressées et ne retranscrivent pas l’expérience réelle.
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Khamallah Abdel khalik
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