L’histoire du Blue Monday, l’équation absurde devenue concept marketing
C’est un concept entièrement fabriqué, mais recyclé à l’infini, comme un mauvais remix du titre éponyme de New Order. Chaque année, le troisième lundi de janvier est présenté comme le Blue Monday, ou « le jour le plus déprimant de l’année ». Une affirmation fondée sur une pseudo-équation scientifique, pondue, à l’origine, pour soutenir une opération commerciale. Retour sur un stratagème qui perdure.
La naissance d’un concept mathématiquement bancal
L’origine de cette théorie, à la fois fumeuse et commercialement efficace, remonte à 2005. Cette année-là, un mystérieux communiqué de presse, commandé par Sky Travel, décrète que le 26 janvier est « le jour le plus déprimant de l’année pour une majorité de Britanniques ». Cette journée aurait même un nom, le Blue Monday.
Pour étayer l’hypothèse d’une épidémie de déprime, l’agence londonienne Porter Novelli, chargée de la diffusion du communiqué, déroule une équation mathématique mêlant des variables curieuses : le niveau d’ensoleillement, le nombre de jours écoulés depuis Noël ou l’abandon prématuré des résolutions. L’opération vise en réalité à « identifier le moment où les gens réservent leurs vacances », explique un porte-parole de Porter Novelli à Snopes, média britannique spécialisé dans le fact-checking. L’objectif, pour Sky Travel ? Exploiter cette journée morose pour stimuler l’envie d’évasion et promouvoir des voyages.« Les gens se sentent déprimés lorsqu’ils n’ont rien de prévu, mais une fois qu’ils réservent des vacances, ils ont un objectif », justifie-t-il.
Lorsque j’ai réfléchi aux motivations derrière la réservation de vacances, en me basant sur ce que des milliers de personnes m’avaient confié lors d’ateliers sur la gestion du stress et du bonheur, plusieurs facteurs m’ont conduit à identifier le troisième jour de janvier comme étant particulièrement déprimant.
Si la formule est rapidement jugée « mathématiquement bancale », rappelle The Guardian, et légitimement moquée car reposant sur des facteurs incompatibles et difficiles à quantifier, elle ne tombe pas dans l’oubli. La raison ? Elle est attribuée à un académique, s’appelant Cliff Arnall et rattaché à l’université de Cardiff. Un homme se présentant comme « psychologue », et qui s’avèrera avoir simplement encadré des étudiants lors de cours du soir, durant une courte période. Et qui est à l’origine d’autres équations bidons, mises au service d’objectifs commerciaux.
Une équation sponsorisée, devenue « prophétie auto-réalisatrice »
En 2005, Cliff Arnall pond notamment l’équation « O + (N x S) + Cpm / T = He », incluant des variables comme « les souvenirs positifs de périodes estivales durant l’enfance » (Cpm), les « activités extérieures » (O) ou les « interactions sociales » (S) pour décréter que le 24 juin est « le jour le plus heureux de l’année », s’amusait The Guardian. Une formule qui était, on le découvrira plus tard, sponsorisée par l’entreprise Wall’s, afin de promouvoir ses glaces. La même année, il détermine aussi que le 18 mai est « le jour idéal pour changer de vie ». Pour ses services rendus au système capitaliste, Cliff Arnall est rétribué à hauteur de 1 650 £. Un maigre salaire pour avoir donné naissance à l’un des concepts marketing les plus pérennes du 21e siècle.
Certains ont dit que j’avais acheté une immense maison avec l’argent que j’avais gagné. Les gens inventent n’importe quoi.
Il faudra attendre 2010 pour que Cliff Arnall reconnaisse que ses équations étaient purement factices, et ne reposaient sur aucune base scientifique. Pas vraiment rongé par la culpabilité d’avoir ancré une infox dans l’imaginaire collectif, il admet néanmoins, dans les colonnes du Telegraph, que la désignation du jour le plus déprimant de l’année « n’était pas très utile » et que cela pouvait engendrer un phénomène de « prophétie auto-réalisatrice » au cours de cette période morose, favorisant une forme de déprime hivernale. Il invitait les lecteurs à utiliser le Blue Monday « comme un tremplin pour les choses qui comptent vraiment dans leur vie ».
Un incontournable du marketing
L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais le concept se recycle indéfiniment, profitant chaque année d’une couverture médiatique assez délirante. Tantôt pour expliquer la supercherie, comme le fait cet article, tantôt pour livrer des astuces visant à surmonter cette journée prétendument éprouvante.
Devenu un incontournable des calendriers marketing, le Blue Monday doit sa longévité à des facteurs qui peuvent réellement influencer l’humeur, dans un mois de janvier souvent synonyme de morosité, de stress ou de grisaille. Après avoir souligné qu’il était « difficile de soutenir pleinement cette théorie », le psychiatre Florian Ferreri rappelait, dans les colonnes du Monde, que « la méthode de calcul proposée pour aboutir sur cette pire journée de l’année [reprenait] des éléments qui peuvent réellement influencer notre moral », comme « les difficultés financières, les échecs [ou] la météo maussade ». Or, ces facteurs, en altérant notre-bien être psychologique, peuvent mener à des comportements compulsifs. Selon une étude, menée par le Money and Mental Health Institute et citée par le quotidien, près de neuf personnes sur dix dépensent davantage lorsqu’elles se sentent mal.
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Et ça, la plupart des marques l’ont bien compris, utilisant le Blue Monday comme un prétexte pour promouvoir leurs produits et leurs services. Comme lors de la Saint-Valentin, du Black Friday ou à Noël mais avec, cette fois, la promesse de vaincre la morosité et les mauvaises ondes grâce à la consommation. « De nombreuses marques ou organisations se sont adossées à la date pour en faire un moment clé de leur stratégie, se voulant tantôt rassurantes, réconfortantes, motivantes ou a minima présentes pour aider leurs clients à surmonter cette date devenue fatidique », décryptait Julia Cames, senior marketing manager chez HubSpot, dans une tribune publiée dans Stratégies.
Ainsi, en explorant le hashtag #bluemonday ce lundi 20 janvier sur X ou Instagram, vous tomberez sûrement sur des promotions pour des montres, des enceintes ou des t-shirts. Voire pour des billets d’avion, pour perpétrer la tradition consumériste lancée par Sky Travel, il y a 20 ans.
BLUE MONDAY SPECIAL! 💙 ENDS MIDNIGHT TONIGHT!
— Ryanair (@Ryanair) January 16, 2023
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Khamallah Abdel khalik
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