Le cimetière des réseaux sociaux oubliés
Yik Yak : le défouloir anonyme
C’est une application destinée aux étudiants « qui s’est rapidement transformée en épisode de Black Mirror », résume assez justement le média spécialisé Gizmodo, dans son éloge funèbre.
Lancée en novembre 2013 par les frat brothers Tyler Droll et Brooks Buffington, issus de l’université Furman, en Caroline du Sud, Yik Yak propose un concept simple, mais qui s’avèrera être terriblement problématique : permettre à ses utilisateurs de partager des contenus et des commentaires anonymes, appelés « yaks », qui peuvent être consultés dans un rayon de huit kilomètres. Comme le relate Vox, l’application fusionne plusieurs fonctionnalités en vogue sur d’autres plateformes : les publications sont éphémères (Snapchat), sont limitées à 200 caractères (Twitter) et peuvent être valorisées ou dépréciées grâce à un système d’upvote et de downvote (Reddit). Très populaire auprès des étudiants américains, l’application lève plus de 73 millions de dollars, et atteindra momentanément une valorisation avoisinant 400 millions de dollars.
Si, dans l’histoire des plateformes sociales, l’anonymat a rarement été synonyme de bienveillance, Yik Yak repousse toutes les limites de l’acceptable. Elle devient un véritable défouloir, servant à propager des rumeurs, à diffuser des propos racistes et misogynes et à formuler des menaces de mort, de viols ou de fusillades.« Caitlin Dewey, journaliste au Washington Post, a fait les calculs et a constaté que l’application génère en moyenne une menace violente toutes les deux semaines », rapporte Vox. Yik Yak sera finalement bannie par plusieurs universités américaines, puis fermée en avril 2017, avant d’être relancée, dans l’anonymat, en août 2021.

Yo : l’application au succès inexplicable
Un concept presque absurde, moqué par la presse tech et généraliste à sa sortie, mais qui a tout de même convaincu des investisseurs d’y injecter près de 2,5 millions de dollars. Voici comment l’on pourrait résumer la brève histoire de Yo, une application qui permettait, comme son nom le suggère, d’envoyer une notification « Yo » à ses contacts. Pas plus, pas moins.
Initialement envisagée comme une blague – son lancement le 1er avril 2014 ne laissant guère de doutes à ce sujet -, Yo est pourtant devenue, en quelques semaines, la « nouvelle application incontournable qui vous laisse perplexe », résumait un journaliste de TechCrunch, dans un article datant de juin 2014. Ce qui lui a permis de bénéficier d’une couverture médiatique assez délirante, alors qu’elle avait simplement décliné le principe du poke.
Conçue en seulement huit heures par le développeur Or Arbel, Yo répondait, à l’origine, à une requête de son employeur Moshe Hogeg, qui souhaitait qu’il développe un système permettant d’envoyer rapidement une notification à son assistante. Une idée qu’Or Arbel qualifiait lui-même de « stupide », a-t-il confié à Business Insider, avant de se raviser. L’application sera finalement débranchée en 2016, après un parcours bref, mais intense : elle aura gravi les sommets du classement de l’App Store, atteint une valorisation de 10 millions de dollars et fait l’objet d’un piratage orchestré par un étudiant.
Diaspora* : le pionnier de la décentralisation
Souvent présenté comme l’un des premiers réseaux sociaux décentralisés, Diaspora* reposait, dès 2010, sur une architecture similaire à celle de Mastodon, avec une multitude de serveurs, nommés pods, hébergés et administrés par les utilisateurs eux-mêmes. Une révolution pour l’époque.
Imaginé par quatre étudiants de l’université de New York, le projet voit le jour grâce à une campagne Kickstarter qui récolte 200 000 dollars. Et il est rapidement catalogué parmi les nombreux « anti-Facebook » par la presse, notamment le New York Times, sans susciter de véritable engouement. En 2012, ses créateurs se retirent, laissant la gestion de la plateforme à des contributeurs bénévoles.
Ces dernières années, cette plateforme pionnière, toujours accessible en ligne, a surtout fait parler d’elle pour avoir, bien malgré elle, offert un refuge à des combattants de l’État Islamique qui avaient été évincés de Twitter, rapporte la BBC.

Path : le réseau cloisonné, mais pas si éthique
En 2010, à une époque où il n’était pas rare d’oublier l’identité des personnes ajoutées à sa liste d’amis sur Facebook, un réseau élargi étant généralement perçu comme un signe d’appartenir aux cool kids, Path adoptait une approche opposée, en limitant le cercle de ses utilisateurs à 50 contacts.
Un chiffre arbitraire ? Pas vraiment. Lancée par Shawn Fanning, cofondateur de Napster, et Dave Morin, un ancien cadre de Facebook, cette application tirait son concept des théories développées par l’anthropologue britannique Robin Dunbar. Selon ses travaux, qui ont été largement débattus dans la Silicon Valley au début des années 2010, un individu serait capable d’entretenir des relations stables avec un maximum de 150 personnes. Mais lorsqu’il s’agit du cercle intime « que l’on inviterait à une fête d’anniversaire », explique le New York Times, Robin Dunbar tablait plutôt sur une fourchette comprise entre 40 et 60 personnes.
C’est cette hypothèse qui a guidé la vision cloisonnée de Dave Morin, et qui lui a valu un certain succès dans la Silicon Valley. « En se réveillant chaque jour pour écrire sur des personnes qui prennent des risques, on finit par s’attacher à certaines d’entre elles. Comme avec Path, l’outsider du partage de photos », écrivait un journaliste de TechCrunch, en décembre 2011. Presque tous les investisseurs avec qui j’ai discuté admirent Dave Morin et souhaitent ardemment qu’il réussisse ».
Dans les faits, outre son architecture cloisonnée, Path ne sort pas des sentiers battus. Elle est simplement axée sur le partage d’informations avec un cercle restreint, qui sera ultérieurement élargi à 150 contacts. Les utilisateurs pouvaient partager des photos retouchées avec des filtres, le morceau qu’ils étaient en train d’écouter ou annoncer le moment où ils allaient se coucher. Atteignant environ 3 millions d’utilisateurs en 2012, l’application ferme ses portes en 2018. Entre-temps, Path aura eu le temps d’éconduire Google, en refusant une offre de rachat à 100 millions de dollars, et de s’embourber dans un scandale. En février 2013, Path est condamné à une amende de 800 000 $ pour avoir siphonné les données personnelles de ses utilisateurs sans leur consentement.
Ping : le raté d’Apple
Il aurait été simple de tirer sur l’ambulance. Mais non, Google n’est pas le seul géant à avoir essuyé un échec retentissant dans l’univers des plateformes sociales. À l’aube des années 2010, Apple s’y était également risqué, en déployant Ping : un réseau social axé sur la musique et, surtout, doté d’une architecture atypique puisqu’il était accessible via iTunes, et pas un navigateur web.
En septembre 2010, Ping était dépeint (sans trembler) par Steve Jobs, lors de la keynote de la marque, comme un croisement entre Facebook, Twitter et iTunes, « entièrement dédié à la musique », raconte AppleInsider. Ping offrait notamment la possibilité de suivre des artistes ou de suggérer des contenus du catalogue iTunes à ses proches. Problème : c’est l’absence de véritable dimension sociale, ainsi que d’intégration à Facebook – qui aurait, par exemple, permis de retrouver facilement ses contacts – qui causera la chute prématurée de Ping.
Sa composante promotionnelle, incarnée par un système de recommandations plutôt bien ficelé mais sans doute peu adapté à son époque, a également été critiquée durant sa brève existence. « Les utilisateurs ne semblaient pas intéressés à participer à un réseau social qui fonctionnait essentiellement comme une machine promotionnelle déguisée pour le contenu d’iTunes », raconte un journaliste de TechCrunch. Après une lente agonie et quelques tergiversations, Ping est finalement débranché en septembre 2012 par Tim Cook, le remplaçant de Steve Jobs, décédé en octobre 2011.
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Khamallah Abdel khalik
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